20 septembre 2016 – Yves Lacroix
Tel que promis, je vous reviens avec mes impressions et souvenirs de Rio, et plus particulièrement du badminton.
Comme je m’y attendais, les Jeux de Rio furent une aventure éprouvante : de très longues journées ponctuées de pauses aussi rares que courtes accompagnées, évidemment, de hauts et de bas. J’y reviens plus tard.
Le badminton avait lieu dans un immense édifice, soit le Pavillon 4 du complexe Riocentro, normalement utilisé pour des expositions et des congrès. Essentiellement, il s’agissait d’une immense boite avec des installations temporaires pour le déroulement du tournoi : le centre de presse, les bureaux administratifs, les gradins, les kiosques, etc.
L’horaire du tournoi de badminton faisait peur et pour cause : dix jours de compétition, chacun débutant à 8h ou 8h30. Pour l’auteur de ces lignes, cela voulait dire : lever à 5h30, autobus vers 6h00 (heureusement, il y en avait un aux 5 minutes), correspondance pour un deuxième autobus à 7h00 ou 7h20, arrivée au stade vers 7h40, contrôle de sécurité (rarement long), petit goûter très rapide, préparation de l’équipement, et c’était le départ du marathon.
Les six premières journées furent très longues et donnèrent très peu de répit, voire pas du tout. Comme l’horaire proposé n’était pas très réaliste (parfois 25 minutes entre les matches), les matches accusèrent beaucoup de retard, certains empiétant même sur les sessions suivantes.
Les cinq premières journées, les matches furent disputés sur trois terrains contigus et les cinq dernières sur un seul. Ces cinq dernières journées permettaient de souffler un peu et de mieux planifier le travail. Pas toujours évident de prendre trois matches à la fois même si, je dois le dire, il était très facile de circuler d’un terrain à l’autre. Les positions pour photographes à côté des terrains n’étaient pas idéales en raison de la très grande place que prenaient les équipes de télévision, mais la lumière était aussi belle que généreuse. En raison de la vitesse de notre sport, il est essentiel d’avoir beaucoup de lumière pour faire des belles photos d’action.
Première belle surprise du tournoi : la foule. Je craignais que très peu de personnes ne se présentent au stade puisque des billets pour toutes les sessions étaient toujours disponibles dans le site officiel des Jeux, et ce, à quelques jours seulement du début du tournoi ! Cela n’augurait pas bien. Heureusement, les spectateurs furent plutôt nombreux et certaines sessions, dont celles mettant en vedette des joueurs brésiliens, donnèrent lieu à des foules bruyantes et enthousiastes, dignes des stades en Asie.
Les matches d’Ygor Coelho De Oliveira et de Lohaynny Vicente, tous deux des jeunes Brésiliens très talentueux, furent sans conteste parmi les plus beaux moments du tournoi. Ils n’ont peut-être pas réussi à remporter leurs matches, mais ils ont certainement gagné le cœur de leurs compatriotes par leur talent et courage. Il fallait voir Ygor qui baignait dans l’énergie de la foule, dont celle des membres de son club, tous présents pour l’acclamer. Inoubliable.
Les 172 joueurs du tournoi nous ont réservé d’innombrables surprises, à la grande joie de la BWF qui s’est réjouie de la diversité des résultats et des médaillés. Parmi les matches qui m’ont marqué, je pense à la demi-finale en simple féminin entre Nozomi Okuhara et Pusarla Sindhu. Cette dernière a attaqué sans relâche la tenace Japonaise qui ne pouvait rien faire contre la tempête qui s’abattait sur elle. En plein match, j’ai vu Nozomi en pleurs. Elle savait que Sindhu était trop forte cette journée-là. Je pense aussi à Maria Ulitina et à Linda Zetchiri, émues de se qualifier dans le tableau principal. Je pense également à Carolina Marin, sereine, qui me confiait, la veille de sa finale, qu’elle était prête pour son match, même si rien n’est acquis. Sa sérénité et son calme m’ont impressionné, moi qui tremblais presque avant mes matches dans le C. Après sa médaille d’or, j’étais heureux aussi pour son entraîneur qui, le soir de la victoire, m’a dit, dans son français impeccable, ‘c’est beaucoup de travail’ en référence à tout l’effort fourni sur plusieurs années pour en arriver à une si grande victoire. Je n’en doute point.
En simple masculin, outre les matches d’Ygor, je pense aux joueurs dont la simple apparition dans le tournoi olympique constituera sans doute le point culminant de leur carrière : Soren Opti, Jaspar Woon Chai, pour n’en nommer que quelques-uns. Je pense aussi à l’incroyable demi-finale entre Lee Chong Wei et Lin Dan qui, comme tout bon show, devait se terminer sur un score dramatique : 15-21, 21-11, 22-20. Ce fut sans conteste le match du tournoi. Au grand dam de plusieurs, dont moi, Chong Wei n’a pas réussi à répéter son exploit en finale. Je me réjouis quand même de la victoire de Chen Long, joueur respecté par tous ses adversaires en raison de son attitude toujours respectueuse sur le terrain. Il est d’ailleurs celui qui est le plus souvent cité quand je demande aux joueurs contre qui ils aiment le mieux jouer. La victoire de Viktor Axelsen dans le match de la médaille de bronze fut aussi un autre moment mémorable. Le jeune Danois fondit en larmes après son match, trop ému d’avoir battu le grand Lin Dan.
En mixte, la défaite prématurée des favoris Zhang et Zhao aux mains des Indonésiens Ahmad et Natsir ouvrit la porte vers l’or à ces derniers. Je ne sais pas d’où ils sortirent, mais une armée de fans indonésiens envahirent le stade pour donner à l’enceinte une atmosphère toute indonésienne lors de la finale. Et pour cause : une médaille d’or en badminton en Indonésie, c’est énorme.
En double féminin, je tiens à souligner l’énorme courage dont ont fait preuve les Danoises Christinna Pedersen et Kamilla Rytter Juhl qui ne connurent que de très longs matchs de trois parties à partir des quarts de finale. Elles ont frôlé la médaille d’or, n’ayant plus que deux points à remporter dans le match ultime, mais les favorites Matsutomo et Takahashi en décidèrent autrement. Il fallait voir ce magnifique mélange de déception et de joie dans le visage des Danoises lors de la cérémonie des médailles. Terriblement déçues d’avoir perdu, mais aussi très heureuses, j’en suis sûr, d’avoir remporté l’argent après avoir frôlé la défaite à de nombreuses occasions durant le tournoi.
Un parcours semblable eut lieu en double masculin pour les Malaisiens Goh V Shem et Tan Wee Kiong : que des matches de trois parties à partir des quarts de finale pour, eux aussi, frôler la victoire dans la joute ultime contre les Chinois Fu Haifeng et Zhang Nan. Dans la tête des Malaisiens, c’était plus que faisable, car ils avaient battu, quoique difficilement, ces mêmes Chinois quelques jours plus tôt dans les rondes éliminatoires. ‘One more step’, m’avait dit Wee Kiong, confiant mais conscient du défi qui l’attendait, après sa victoire en demi-finale qui l’assurait d’au moins une médaille d’argent. Les Malaisiens eurent des moments de nervosité à la toute fin du match, ratant chacun un service. Aïe. Ces erreurs furent coûteuses et les Chinois remportèrent le match à 16-21, 21-11, 23-21. Ouf ! Fait à noter, la Malaisie est toujours en quête d’une première médaille d’or aux Jeux Olympiques, tous sports confondus.
Derrière toutes ces performances, des humains chaleureux s’activaient sans relâche. Je pense notamment aux officiels qui étaient aussi fiers que les joueurs d’être présents au tournoi. J’en profite pour remercier publiquement les arbitres Jean-Guy Poitras, Éric Desroches et Gérald Arseneault, tous trois du Nouveau-Brunswick, qui me furent d’une précieuse aide durant tout le tournoi. La générosité et la complicité de ces amis francophones m’ont certainement aidé à tenir le coup. Je pense aussi à tous les photographes, arbitres, joueurs, entraîneurs et bénévoles qui, eux aussi, firent preuve de générosité, de patience et de camaraderie. Comme le temps me manquait, beaucoup d’entre eux tenaient à m’apporter qui de la nourriture, qui des boissons. Malgré la distance, mes éternels camarades Raphaël Sachetat et Don Hearn en ont fait encore plus, avec leur soutien professionnel, technique et moral. J’adresse un merci tout spécial à Raphaël, président de Badmintonphoto, de m’avoir confié cette mission olympique. Jamais je n’oublierai sa grande générosité à mon égard.
Un autre cycle olympique recommence. Des carrières ont pris fin, certaines sur des triomphes inattendus, d’autres en queue de poisson. C’est la vie. C’est le sport. Que nous réserve le prochain cycle olympique ? On le saura très bientôt, car le premier Superseries après les Jeux – le Japan Open – débute dans quelques heures et j’ai la chance d’en être témoin. C’est reparti. Bon badminton !